vendredi 28 décembre 2012

Le désert


Je suis retourné dans mon désert, marcher trois jours dans ma tête. Collines après collines, ravins après ravins, parcouru des étendues sans fins entre mes deux oreilles. Un horizon, deux horizons, trois horizons qui se succèdent comme on tourne les pages d'un livre. Un désert est un désert. Jaune et bleu, deux couleurs d'une parfaite complémentarité. Immensité de poussière balayée par un vent à décorner les boeufs. Des ossements comme dans les western et la ronde des vautours juste au dessus de nos têtes. Pas d'odeur, aucun son, hormis celui du vent. Une entité aux antipodes du vivant. Tout semble mort. Et ce maudit sac à dos de quinze kilos qui lacère le dos, les hanches et les épaules. A t'on vraiment besoin d'un thermos ici ? Non. Ni de caleçons longs, ni d'un K-way et surement pas d'un ordinateur. L'eau est indispensable. Économiser chaque précieuses gorgées, cuisiner à l'eau de mer pour ne pas gaspiller. Et puis marcher, d'estancia en estancia pour remplir les bouteilles vides auprès des fermiers. Roupiller à la belle étoile et trouver enfin la paix le soir venant en s'endormant au bord de l’océan.


Première nuit dans la pampa


Il ne s'agissait pas d'un voyage organisé pour touriste à la noix. Pas de guide ni de pause déjeuner ou de minibus climatisé. Que du vrai... Ici, dans les grands espaces patagons, les distances sont extrêmement relatives. Quinze kilomètres dans la bouche d'un gaucho (fermier), deviennent facilement une quarantaine de bornes avalée sous les semelles. Il y a plusieurs options: Longer la côte (impossible à marée haute), la ruta provincial 5 (ligne droite qui se perd à l'horizon) ou couper à travers les terres d'estancias. Sachant que les fameux gauchos ont tout à fait le droit de shooter les intrus qu'ils surprendraient sur leurs propriétés. Le premier que nous avons rencontré, à l'estancia Providencia, nous a d'abord désigné son fusil avant de nous montrer la pancarte bienvenue accrochée au dessus de la porte.


Eolien de pompage, Estencia Punta Cracker


En trois jours, nous n'avons croisé que deux véhicules. Les deux nous ont pris en stop. Au volant de la première voiture, un marin de Puerto Madryn qui cherchait son chien. Il l'avait égaré le matin même en chassant dans la pampa. Je ne suis pas très doué en statistiques mais je pense qu'il y avait très peu de chance que nous tombions sur ce type. Quant au second, c'est lui qui nous a ramené jusqu'à Puerto Madryn (on avait quand même fait une soixantaine de bornes...). Nous avons donc balancé nos sacs dans la benne du camion où attendait deux énormes taureaux en partance pour l'abattoir. Roben, le conducteur, nous a expliqué que leurs viandes seraient ensuite vendue en Europe, sur les étalages des boucheries. A l'avant, assis tous les quatre sur la banquette de la cabine, on a fait tourner le maté. Ce fameux thé traditionnel que l'on boit à la paille dans un récipient semblable à une pipe. Roben nous a expliqué que les estencia n'avait que rarement l’électricité. Que leurs propriétaires puisaient l'eau d'un puits à l'aide d'une éolienne de pompage. Quand on lui a parlé de la rigueur d'une vie de gaucho et des contraintes de cette existence solitaire; il nous a simplement répondu que certaines personnes choisissaient la ville, et d'autre le désert.


Roben, Paolo et le Maté


Là bas, dans l'effort perpétuel et le silence, les mots prennent un tout autre sens. Confort, fatigue, manque ? De quoi a-t'on vraiment besoin pour exister ? C'est là que nous apprenons. Dans cette immensité où même les increvables petits buissons se dessèchent et meurent, on s'endurci et se gorge de vie. Le vent souffle à nos oreilles les réponses de nombreuses questions. Pendant ces trois jours à crapahuter avec Paolo (l'allemand que nous avons adopté, notre mascotte et compagnon de route), c'est comme si nous avions franchi un cap. Fort de cette nouvelle sérénité, chacun avait besoin de se reposer, réfléchir et écrire.


Puerto Madryn


Texte Hugo Charpentier - Photos Arthur Courtois et Paolo Obi

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