vendredi 28 décembre 2012

La Granda Épica


Que dire de la épica ? Tellement de choses sur si peu en réalité: des kilomètres avalés, du vent, du sable et du soleil. 

Une marche d'une beauté silencieuse, où tout se passe dans la tête. Tellement dure mais tellement vraie. Chacun se retrouve face à soi-même, retranché au plus plus profond de ses pensées. On ne s'imaginait sûrement pas que ça allait être aussi dur. On a eu beaucoup de chance de croiser deux véhicules, qui nous ont tous deux pris en stop à différents moments de la marche. Un à l'allé, et un au retour. A chaque fois aux moments où on était condamné à en chier jusqu'à la fin de nos jours.



   


Le premier jour est passé comme une lettre à la poste. L'euphorie du départ nous poussait au cul. On connaissait le chemin pour l'avoir fait en reconnaissance avec Paolo et des Hollandais un jour de tempête. Sans ce putain de vent et même avec nos gros sacs en plus, on est allé plus vite que lors du repérage. Et à ce moment là, on se disait qu'on arriverait rapidement à Punta Ninfas, notre objectif.






Première journée de marche à longer la côte.


On est passé voir les Rangers de la réserve marine pour qu'ils nous remplissent notre première bouteille d'eau vide. Nous avions six litres pour trois en tout et pour tout. On ne le savait pas encore, mais ça aller nous foutre dans la mouise. Le problème c'est qu'après les Rangers, il n'y avait plus grand chose à se mettre sous la dent pour remplir les bouteilles. Plus rien même. Ils nous ont d'ailleurs mis en garde: de la pampa aride sans eau c'est dur...





On a continué de marcher jusqu'à 18h30 pour trouver un petit ravin qui nous a permis de nous abriter un minimum du vent. On a pausé les sacs et préparé un p'tit thé qui nous a paru merveilleux, accompagné de fruits secs et d'une petite roulée bien méritée. La mer était à quelques mètres, c'était beau, c'était frais.




La peur de se prendre de la flotte sur la goule pointait le bout de son nez. Mais c'était sans compter sur les deux marins Paolo et Hugo. Scrutant l'horizon du haut de leur colline, ils ont rapidement affirmé que la météo de cette nuit resterait clémente. On pouvait s'endormir sans crainte, une couverture de survie en guise de matelas et les étoiles au dessus de la tête. Doux rappel des nuits dans le désert marocain.






Le lendemain on est reparti sur les coups de 10h30. Inutile de préciser que les ampoules étaient déjà au rendez-vous et que les semelles de mes pompes de marches avaient rendues l'âme. Putain de cordonnier français, je l'ai maudit toute la journée.





Marcher sur la plage comme on l'avait fait jusqu'ici était devenu impossible. A cause de la marée haute et du terrain plus accidenté. Mais aussi parce qu'on commençait à se rendre compte que les réserves en eau seraient insuffisantes. On a donc été obligé de s'enfoncer dans les terres des fameuses estancias pour rejoindre la route. Un peu au hasard certes, avec la crainte de tomber sur un fermier et son fidèle fusil. Il fallait traverser le plus rapidement possible ces putains de terres, bourrées de ravins, de rivières asséchées et de buissons épineux.





Espiritu Pampa.


On a eu la chance de tomber sur la bonne en premier. L'estancia Providencia, qui n'aurait pas pu porter meilleur nom. Premier contact plutôt encourageant avec le gaucho, un homme chaleureux. Il avait vécu sept ans en Espagne, puis avait décidé de s'exiler là, au milieu de nulle part, avec trois chiens, ses bêtes et ses couilles. Parce que croyez moi, il faut en avoir pour vivre ici toute l'année. On s'est bien gardé de lui dire qu'on était arrivé en traversant ses terres.




Les bouteilles étaient à nouveau pleines. Il a bien pris soin de nous montrer sur la carte les estancias à éviter pour la suite de notre parcours. Une casserole de pâtes plus tard, cuisinée dans un de ses champs gentiment indiqué, on repartait, deux bouteilles en moins...

On se disait qu'on arriverait sûrement avant la tombée de la nuit. Optimisme exemplaire mais peu réaliste. La route n'en finissait pas, et l'eau descendait à vue d'oeil. Une légère tension s'est installée. Il fallait bien que ça arrive. Mais les marcheurs doivent savoir qu'il est plus facile de marcher énervé. Plus motivant, un moyen comme un autre de ne plus penser à ses pieds... 

Heureusement, grâce à Larmou*, c'est là que le pécheur nous a pris en stop. On a bu un peu de son eau glacée et parlé de sa vie de marin. Il nous a amené à la plage où il nous était possible de dormir, Bahia Craken. Le problème de l'eau n'était pas réglé pour autant, mais on avait évité une bonne quinzaine de kilomètres de marche. C'était toujours ça de pris.





La plage était extrêmement sale, souillée par les pêcheurs et les locaux. Il faut dire qu'après ces pures paysages dénués de toute trace humaine, ça nous a mis un petit coup au moral. On a cuisiné à l'eau de mer pour économiser, et on s'est couché le plus vite possible. Conscient que plus vite on dormirait, moins on boirait d'eau.

Il nous restait 50cl en repartant. Autrement dit rien du tout pour trois troufions sous un soleil de plomb et leur quinzaine de kilos sur le dos. Les fermiers de l'estancia à l'entrée de la plage nous avaient paru assez froids la veille au soir. Ils ont quand même eu la bonté de nous remplir solo una botecha. On en était à deux litres mais tout le chemin du retour nous attendait. C'était impossible.





Les trois numéros complémentaires.


Il avait été décidé de rebrousser chemin. De refaire la route en sens inverse pour tenter d'atteindre les estancias aperçues la veille depuis la voiture du marin. A ce moment là, on n'en avait plus rien à foutre de tomber sur les gentils gauchos ou sur les méchants, seule l'eau importait. On buvait two Zips (gorgées en anglais, Paolo oblige) par heure. On avait à peine avalée la dernière que le vent avait déjà séché nos lèvres. Nous nous étions levé le plus tôt possible pour avoir le maximum de chance de croiser un véhicule sur cette maudite route. Mais l'avenir n'appartient-il pas à ceux qui se lèvent tôt? Claro que si.




La ruta provincial 5.


Etant le seul à baragouiner l'espagnol, la tâche de demander de l'eau, me revenait, à mon plus grand plaisir. Établir le contact avec un inconnu procure toujours un petit quelque chose, une petite dose d'adrénaline, infime. D'autant que les argentins sont vraiment très accueillants, en temps normal... Je me préparais donc à marcher vers une première ferme, tout en envisageant la possibilité de recevoir une bastos dans le pruneau. Ça paraissait gros quand même, mais on ne savait rien de cette estancia.

Soudain, est apparut au loin un véhicule qui soulevait pas mal de poussières. Les jumelles nous ont révélé un camion à bestiaux. Bien évidemment, il n'avançait pas dans la direction qui nous arrangeait. Ce con a tourné vers l'estancia sans comprendre qu'on lui demandait de s'arrêter. Il a stoppé son camion deux cents mètres plus loin pour ouvrir le portail. J'ai dû lui courir après, les pieds en feu. Tout en ne sachant pas si mes efforts seraient récompensés.



Entre deux respirations de buffle, je lui ai fait comprendre que je voulais remplir les trois bouteilles vides sous mon bras, si possible bien entendu. Le type avait une bonne gueule de paysan, la dent en moins qui allait avec et le béret bien vissé sur la tête. Pas méchant pour autant, il m'as pris les bouteilles des mains en se dirigeant vers son bidon placé sous le camion. Un énorme taureau soufflait à l'arrière du Merco, me regardant d'un air inquiet. Quelques questions polies plus loin, le temps de remplir les bouteilles, je repartais vers Paolo et Hugo.

"On the road again, agaaaaiiiiiin", ce putain d'air à la RTL2 me revenait sans arrêt dans la tête à chaque fois qu'on reprenait nos sacs. C'était reparti, sur la route sans fin, les bouteilles chargées à bloc. Je sentais ces putains de semelles de chaussures s'user peu à peu. 

Au bout d'un certain temps, une éternité dans ce désert, on a vu en se retournant le gros Merco-Benz revenir, il avait sûrement finit sa tournée des estancias. C'était la chance à saisir! Il s'est arrêté en souriant, probablement en se disant "qu'ils sont cons ces gringos à vouloir faire les malins". Il était dans le vrai.





Il a très vite compris que si il nous laissait marcher là, il risquait d'avoir quelques comptes à régler con el Dios lors de leur prochaine rencontre. Une fois les sacs chargés à l'arrière du truck, dans la bouse de vache, los compadres se sont tassés sur la banquette avant. On s'en était sorti. On l'avait fait. Mucha' Gracias Señor

El señor s'appelait Roben Odriosola, un humble chauffeur qui transportait toros y vacas des estancias de la région aux abattoirs de Puerto Madryn. Non seulement il nous a pris à son bord, mais nous a payé la tournée de maté. On a parlé tout au long du trajet, de la vie des fermiers, de lui, de nous, de la beauté des chicas de Buenos Aires. Bref, de tout et n'importe quoi... Encore une fois on aurait pas pu rêver mieux. Merci Larmou*.



Roben


En passant au fur et à mesure les panneaux kilométriques, on s'est aperçu que s'il n'avait pas été là, on aurait marché au bas mot cinquante kilomètres de ligne droite ponctués de trois estancias. Il faut ajouter que lors du retour en camion, on a croisé en tout et pour tout qu'une voiture, toujours dans le mauvais sens. Roben nous a laissé aux portes de la ville. Les types de l'hôtel ont bien rigolé en revoyant nos gueules, mais quel soulagement de retrouver son petit confort: une douche, deux pizzas de cochon, un lit, merde que c'était bon. 






C'est là qu'on a rencontré Michel, sorte de Rémi belge. Lui, il voyage pendant un an sur les cinq continents. Une vraie crème, incollable sur l'Amérique latine, ses traditions et ses moeurs  Histoire de fêter cette belle aventure, on est parti cogner la balle à coté de la plage. Notre deuxième foot en Argentine. 100% Borracho. Michel le belge en attaque, Père Hugo en défense, Paolo en Oliver Khan, et Bibi Courtois en milieu. On a gagné les 3 premiers matchs. Ils devaient pas s'attendre à une telle efficacité de la part de ces grandes gueules de gringos.

Deux bonnes heures de jeu plus tard, on a enchaîné avec un bar dansant, juste en face du terrain. Un des argentins qui jouaient dans notre équipe et qui espérait surement se faire rincer toute la soirée nous a accompagné. Et c'est bien entendu ce qui est arrivé.

Le Raggaetown national s'appelle la Cumbia. Les filles se déhanchent là dessus à s'en faire péter les reins. Un vrai truc de barge, il faut l'avouer. Assez vulgaire tout de même, on parle quand même de gamines de quinze ans. Au final on est quand même resté danser jusqu'au petit matin avec ce diable d'argentin qui tenait même plus debout...



La baie de Puerto Madryn.


A l'aube, petit retour jusqu'à l'hôtel. J'avais l'impression de marcher dans mon 18ème après une grosse soirée à La Machine. Les rues aussi dégueulasses que sur le boulevard Barbès après une nuit de débauche. Comme quoi, on échappe pas si facilement à notre vie d'avant...

Repos depuis quelques jours, on laisse souffler les pieds, Hugo fait chanter sa plume et moi mon aquarelle...


Texte Arthur Courtois - Photos Arthur Courtois et Paolo Obi

*Larmou: Divinité primitive apparue au début du XXIème siècle. Ses fidèles se reconnaissent en prononçant la formule suivante : "Hilahi Larmou", qu'on peut traduire par "Gloire à Larmou".

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