jeudi 24 octobre 2013

L’Œil de l’alligator


Ogan Caimani, l'homme qui défiait les alligators.



La jungle est un milieu hostile. L’air y est moite, irrespirable. Pour l’homme moyen non-initié aux secrets de la vie à l‘état sauvage, il faut savoir qu’à peu près tout y est empoisonné. Comme si cela ne suffisait pas, il faut aussi composer avec les redoutables nuées d’insectes voraces: moustiques, fourmis tueuses de la taille d’un briquet et ces petites mouches cannibales appelées sunflys… Toutes ces bêtes-là raffolent de la viande de gringo. D’autant que pour la plupart, elles n’ont ni muté, ni changé leurs habitudes depuis l’ère du jurassique. Et l’on se retrouve aujourd’hui avec des espèces de coléoptères gros comme des rouges-gorges. De quoi fausser tous les efforts entrepris en terme de classification animale ces deux cents dernières années.

Si pour un coléoptériste, ce dernier point représente sans doute le comble du bonheur, il n’en va pas de même pour le commun des individus. Celui qui décide d’affronter les périls de la forêt vierge devra toujours garder ses sens en éveil. Le moindre relâchement pourrait lui être fatal. En clair, une fois passé la lisière de l’Amazonie, il s’agit de toujours faire attention où l’on pose le pied. Car hormis les banquises désolées des deux pôles, il n’existe probablement pas d’endroit moins favorable à la prospérité humaine.

Je ne dis pas cela afin d’instaurer un climat de tension dans l’esprit du lecteur. Ni même pour donner du poids au récit qui va suivre. Mais il s’agit là de la plus pure vérité. Il faut être fou pour décider de vivre dans ces forêts infernales. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, la plupart des indigènes cachent bien quelques traits de folie derrière leurs airs calmes et réfléchis. A force d’affronter tous ces dangers au quotidien, les mosetenes du Quiquibey ont développé une sorte de confiance aveugle en leur environnement ainsi qu‘en eux-mêmes. Pour nous autres, ce mépris total du risque suscite généralement un intérêt certain, voir une profonde admiration.

Ce soir là, nous revenions d’une longue randonnée à travers la jungle. Le soleil descendait doucement sur le rio Quiquibey. La fin du jour s’accompagnant de son habituel spectacle pyrotechnique que l’on retrouve quotidiennement à la même heure dans ces régions du monde. Trop occupé à gratter mes piqûres de moustiques, je n’avais néanmoins pas le loisir de regarder le ciel. 



"Le soleil descendait doucement sur le rio Quiquibey..."


J’ai une fois demandé à Ogan, l’indigène qui nous accompagnait lors de nos excursions dans la jungle, pourquoi il ne se faisait jamais piquer par ces hordes d‘insectes. En me montrant son bras dépourvu de la moindre trace de piqûre  le bougre avait fermement démenti, m’assurant que les moustiques attaquaient tout autant les peaux bronzées que les blancs-becs. Sur le moment j’avais sans doute tiqué. Aujourd’hui j’y vois simplement un mystère de plus concernant cette relation étrange que les natifs entretiennent avec les forces de la nature.

Le soleil descendait doucement mais dans les profondeurs de la jungle il faisait déjà sombre. En certains endroits, la végétation est si épaisse que les rayons de lumière ne peuvent percer à travers les feuillages. Ainsi, nous avions parfois l’impression d’évoluer au fond d’un tunnel.

« El camino muy rapidamente se cerra. » - « Le chemin, très rapidement se referme… » soufflait Ogan entre deux coups de machette. 

L’espagnol n’était pas sa langue maternelle. En temps normal, l’ami s’exprimait davantage en mosetene : un dialecte indigène connu d'une poignée d‘individus dans le monde. Cela expliquait peut être pourquoi il avait retourné sa phrase à la manière d’un maître Jedi. J’étais néanmoins d’accord avec lui : c’était là une bien étrange randonnée semi-souterraine.

Quelques minutes plus tard, nous étions sortis du couvert des arbres, rencontrant la rive du rio. Occupé à enrouler ses lignes de pêche, Jacinto nous attendait là avec une pirogue. Au fond de l’embarcation, un poisson long comme un tibia se convulsait, ouvrant et refermant successivement la bouche. Ogan attrapait la prise par les ouïes. En la soulevant à bout de bras, l’ami faisait mine de la soupeser. Le rio Quiquibey s’était montré généreux.



"Le rio Quiquibey s'était montré généreux..."



Dans la moiteur du soir, nous nous apprêtions à regagner le village. Chacun avait emporté avec lui sa lampe torche, sachant la possibilité de rencontrer des alligators. Les indigènes connaissent un moyen très simple pour repérer ces énormes lézards une fois la nuit tombée. Il suffit de balader le faisceau d’une lampe sur les berges de la rivière. Lorsque la lumière croise le regard d’un de ces monstres, deux petites boules rouges apparaissent, comme des lasers de fêtes foraines. Les yeux de l’alligator sont fluorescents. Tout comme ceux du Jaguar qui brillent quant à eux d’une petite lueur bleue.

Ogan poussait l’embarcation du pied et nous commencions à dériver dans le courant. Comme le village se trouvait bien en aval de la rivière, nous n’avions pas besoin d’allumer le moteur pour le moment. Ainsi silencieux, il serait également plus facile d’approcher les alligators. Tout était parfaitement tranquille. L’un de nous sortait un sac de feuilles de coca dans lequel Ogan et Jacinto se servaient une pleine poignée.

Les mosetenes chiquent leur coca en y ajoutant l’écorce d’une liane dont j’ai oublié le nom ainsi qu’un peu de bicarbonate de sodium. Ce dernier adoucit l’ensemble en lui donnant un certain gout sucré. Les indigènes appellent ça « le sandwich ». Une fois le sandwich prêt, les deux bandits se calaient chacun une énorme boule dans les bajoues. Comme la coca donne envie de fumer, tout le monde s’allumait une cigarette. 



Le Sandwich


En Bolivie, on fume des Golden Beach. Des clopes fabriquées aux Etats-Unis dont le packaging imite vaguement celui des paquets Marlboro. Sur l’emballage, un message en anglais avertit néanmoins que les Golden Beach sont interdites à la vente aux USA. Le tabac grossier qu’elles contiennent crée des quantités phénoménales de monoxyde de carbone en se consumant. En clair il y a là dedans de quoi faire tousser plus d’un texan. Les Golden Beach semblent tout juste assez bonnes pour empoisonner nos amis boliviens.

Mastiquant comme des forcenés, mes deux compagnons ressemblaient ainsi à une paire de hamsters tirant frénétiquement sur leurs clopes hautement toxiques. C’est cet instant qu’Ogan avait choisi pour commencer son histoire.

« A l’époque, je devais avoir quinze ou seize ans et allez savoir pourquoi je m’étais mis en tête d’en attraper un … »

Après un court instant de réflexion, je compris que ce diable parlait d’un alligator. 

Il arrive un âge où les jeunes pousses ont besoin de se prouver qu’elles sont devenues des hommes. Dans les pays dits « civilisés » cela se traduit généralement par l’achat d’un scooter ou la consommation de grandes quantités d’alcool. Parfois les deux à la fois. Mais ce ne sont là que des broutilles comparé à l’entreprise folle dans laquelle Ogan s’était lancé. Une belle imprudence que nous mettrons donc naturellement sur le compte de la jeunesse. 

Ogan était un costaud. En tant que bolivien, il aurait même pu être classé parmi les individus de grande taille. Mais c’était un mosetene et il avait vécu toute son enfance dans la jungle. Il parlait parfois des parties de chasse auxquelles il avait participé. Des traques pendant lesquelles, totalement seul, le jeune Ogan Caimini avait dû affronter tous les dangers possibles et imaginables. Dormant à même le sol, sans autre abri que la voûte des arbres, suivant la piste de la bête pour ne revenir au village qu’après plusieurs jours, lorsqu’ayant enfin débusqué sa proie, il l’avait transpercée d’une flèche. 

C’était donc également un coriace. En tout cas assez pour décider d’affronter à mains nues un reptilien de deux mètres de long.

Soucieux de m’assurer de la véracité des faits, je me retournais néanmoins vers Jacinto, assis à l’arrière de l’embarcation. En manœuvrant l’axe du moteur pour maintenir la pirogue dans le courant, le compère souriait, découvrant ainsi une dentition en damier dont les cases blanches étaient à présent totalement vertes à cause de la coca. L’ami m’adressait un signe de tête qui semblait signifier « écoutes, tu vas voir ». 



"Jacinto nous attendait là avec une pirogue..."



Là-dessus Ogan continuait:

« Je partais donc à la recherche d’un alligator à ma convenance… J‘en trouvai un sur la berge de la rivière et commençais à m’approcher discrètement…»

Il faut savoir que ces gros lézards ne sont pas si farouches qu’on pourrait le croire. En réalité il est même possible de les observer de relativement près. Dans l’après midi par exemple, nous avions aperçu un représentant de l’espèce qui se prélassait au soleil sur un tronc d’arbre. Il avait attendu que nous soyons à deux ou trois mètres pour détaler en plongeant. Sachez que si l’eau est leur élément, les alligators sont aussi de véritables sprinters sur la terre ferme. Une information précieuse qui intéressera sans doute le lecteur désireux de se mesurer à la puissance d’un de ces monstres rampants.

« Quand j’ai réussi à l’attraper, l’alligator m’a bien évidemment mordu. »

Un détail qui tombait sous le sens. Surtout lorsque l’on sait les multiples rangées de dents acérées alignées dans les mâchoires de ces abominations. Sachant l’inclination extrême que les reptiles géants éprouvent pour les morsures en tout genre, j’étais persuadé qu’Ogan avait pris ses dispositions face à une telle éventualité. Il m’apparaissait évident que même le plus brave des indigènes ne pouvait partir à l’assaut d’un alligator sans avoir auparavant prévu un plan de secours. 

Naturellement il n‘en était rien. Quand les mâchoires du monstre s’étaient refermées sur son bras, le pauvre bougre avait simplement dérouillé. Sur une telle action, seul un alligator aurait été en mesure de garder son sang froid. Ce ne fut pas le cas du jeune Ogan Caimani.

« Il n’y avait pas trente-six solutions pour qu’il me lâche. La seule chose qui m’est passée par la tête, c’est que si je voulais m’en sortir entier, je devais le mordre moi aussi. Alors c’est ce que j’ai fait. J’ai planté mes dents au niveau de son œil, juste entre les écailles… Et on peut dire que ça a plutôt bien marché. »

Quand Ogan finissait son histoire, l’obscurité avait déjà pris ses quartiers et nous commencions à promener le faisceau de nos frontales autour de la pirogue. Trois paires de petits yeux vicieux brillaient dans la nuit. Un de ces monstres attendait tapi sur la berge de la rivière. Les deux autres étaient déjà dans l’eau. Seules leurs pupilles dépassaient de la surface. Comme des périscopes de sous-marins qui fixaient notre embarcation d‘un air mauvais. La partie de chasse avait déjà commencé et elle risquait de durer jusqu’au petit matin.


Notez l'énorme boule de coca dans les bajoues.



Texte Hugo Charpentier - Photos Arthur Courtois

samedi 3 août 2013

En remontant le Quiquibey - Sur les traces du savoir indigène



Ils sont une trentaine de familles. Hommes, femmes et enfants appartenant à la communauté d’Asunción. En plein cœur de la jungle bolivienne, leur village est construit au bord du rio Quiquibey, affluent lointain du fleuve Amazone. Ils connaissent les secrets des plantes, travaillent la terre et vivent en quasi-autosuffisance. Mais tout leur savoir, leur monde est appelé à disparaître. Avec une insistance grandissante, l’ombre du progrès plane sur les dernières tribus indigènes de la forêt vierge. A croire que plus de cinq siècles après la découverte du nouveau continent, la colonisation n’a jamais vraiment pris fin.


En septembre 2011, une marche pacifiste réunissant un gros millier d’indigènes est stoppée net par la police bolivienne. A grand renfort de gaz lacrymogène, la police force les indiens à monter dans des camions. On les ramène vers leurs réserves.

Partis un mois plus tôt de la ville de Trinidad, les manifestants cherchaient à rejoindre la capitale La Paz, six-cents kilomètres plus loin. Ils protestaient contre un nouveau projet de route à travers la jungle et la réserve indigène du parc Isiboro Secure. Les indigènes moxenos, yurakarés et chimanes craignaient non seulement que cette axe coupe leur territoire en deux, mais surtout qu'il provoque l'arrivée de nouveaux colons, voir de narcotrafiquants.

Bilan de cette sombre journée du 25 septembre : la mort d'un nourrisson, ainsi que plusieurs disparus et blessés graves. Dans la presse nationale et internationale, l'incident fait grand bruit. Trois ministres sont contraints de démissionner alors que des mouvements de solidarité éclatent un peu partout en Bolivie. Comme à Rurrenabaque où un rassemblement empêche l'atterrissage de l'avion Hercule missionné par le gouvernement pour ramener les manifestants jusqu'à Trinidad.

Ogan, un indigène mosetene était là, solidaire de ses frères moxenos, yurakarés et chimanes. Il déplore la réaction des autorités qui après les événements se sont renvoyées la balle pour designer un coupable. « Aujourd'hui le gouvernement voudrait nous faire croire que ce sont les chefs de la police qui ont donné l'ordre d'attaquer les manifestants. Mais seul le gouvernement aurait eu ensuite le pouvoir d'affréter un avion militaire. »



Le parc du Pilon Lajas, sa faune et sa flore. La réserve abrite également vingt deux communautés indigènes. Malheureusement, cette zone protégée est convoitée par les compagnies pétrolières toujours à la recherche de nouveaux gisements.



Rurrenabaque, ville touristique située aux portes de l‘Amazonie. Sur la rive du rio Beni, Ogan nous attend près de sa pirogue. La petite trentaine, c'est un type massif. Ses larges épaules témoignent de toute une enfance passée à parcourir la jungle. Quelques minutes plus tard, le moteur de l'embarcation démarre et nous commençons à remonter la rivière. D'abord le rio Beni, puis le rio Quiquibey dont nous longeons les berges afin d'éviter le courant très fort et les terribles tourbillons qui nous distinguons parfois au milieu de l'eau. Comme la pirogue passe juste sous l'ombre des grands arbres, une véritable cascade de chants d'oiseaux découle jusqu'à nos oreilles. La forêt impénétrable semble courir jusqu'à l'horizon. Comme ces plantes grimpantes qui recouvrent parfois les vieux murs des maisons, elle renvoie l'image d'une marée verte vorace dévorant tout sur son passage. La déferlante végétale escalade jusqu’au sommet des montagnes, enserrant les rocs gigantesques entre ses racines.

Nous stoppons un instant au poste des guardaparques. Les rangers indiquent que nous pénétrons à présent dans la réserve du Pilón Lajas. Ce territoire indigène abrite une vingtaine de communautés appartenant à diverses ethnies: t’simanes, tacanes, mosetenes ... Chacune ayant son propre langage et des traditions culturelles bien déterminées. Dans les recoins isolés de la forêt profonde, on parle néanmoins de tribus non contactées qui vivent totalement isolées du monde moderne. Ces populations refusent - parfois avec agressivité - toute relation avec l‘extérieur.



« Nous avons une école, un terrain de foot, 
un terrain de basket et un autre de volley. 
Nous sommes même en train de construire un petit hôpital. » 



Un peu plus tard, nous apercevons le village dans une courbe du rio. Quelques toits en palmes tressées dépassent du couvert des arbres. Sur la rive, un groupe de femmes lavent du linge pendant que les jeunes enfants jouent dans l'eau. Bienvenue à la communauté d'Asunción del Quiquibey. « Nous avons une école, un terrain de foot, un terrain de basket et un autre de volley. Nous sommes même en train de construire un petit hôpital », explique Ogan alors que nous mettons pied à terre. Une trentaine de familles vivent ici, à peu près cent quatre-vingt individus et une population qui augmente au fil des ans. Il s'agit d'indiens mosetenes dont le dialecte n'est connu que de quelques centaines de personnes dans le monde. Il existe même une poignée de textes écrits, mais aucun professeur pour transmettre ce savoir. Depuis qu'une école et trois classes ont ouvert à Asunción, la plupart des habitants parlent également l'espagnol.




Asunción del Quiquibey : vues du village. La toiture des constructions indigènes est conçue en palmes tressés. Elle reste imperméable aux eaux de pluie quatorze années après sa fabrication.



On pourrait croire que ces hommes vivent là depuis la nuit des temps. C’est faux. En réalité, les mosetenes du Quiquibey se sont installés ici il y a une quarantaine d’années, leur terre d’origine se trouvant menacée par la déforestation. Le village actuel est construit tout autour d’une immense clairière qu’il a fallut défricher à la main lorsque les premiers habitants sont arrivés. On trouve là le terrain de foot, l’école et quelques huttes dont la casa communale. Comme la plupart des constructions, il s'agit d'un simple toit en palme posé sur des piliers en bois. C'est ici que les habitants se réunissent pour tenir conseil. 




Les mosetenes du Quiquibey, série de portraits. Sur l'une des photos, Ogan montre un sábalo fraîchement sortie des eaux du rio. Les mosetenes utilisent plusieurs techniques pour la pèche : filets, lignes, plantes empoisonnées… et l’arc de juillet à octobre, lorsque l'eau de la rivière est bien claire.



La communauté est dirigée par un chef. Lequel est épaulé par cinq conseillers « municipaux ». Il existe également un texte édictant les règles du village. Le gouvernement bolivien autorise les communautés indigènes à se munir de leurs propres constitutions, même si cela pose de nombreux problèmes d'ordre juridique. Dans ce document rédigé en espagnol, on trouve - entre autre - les principes de réciprocité et de partage de la nourriture. Le chasseur est par exemple obligé de partager le fruit de sa chasse à parts égales, sans préférences ni privilèges. Les orphelins, les veuves, les personnes âgées ou malades ne travaillent pas et sont soutenus par les autres membres de la communauté.


Sous le técho de la cede communale : le bivouac.


Quelques maisons comme l’école, sont équipées de panneaux solaires. Les autres n’ont pas l’électricité. Ce qui n’a pas vraiment d’importance : les indigènes se lèvent et se couchent en même temps que le soleil. L’eau est acheminée depuis une source potable située à un kilomètre et demi du village. Comme le nombre d’habitants augmente, les indigènes d’Asunción vont bientôt mettre en place un nouveau système de canalisation pour capter une source au débit plus important. « Par son développement, Asunción del Quiquibey est appelé à jouer un rôle central pour les autres communautés de la région. Nous avons donc lancé plusieurs projets... Comme la construction du centre de soin. » Explique Ogan en montrant le bâtiment flambant neuf qui accueillera bientôt un médecin et du personnel médical. « Les indigènes du Quiquibey, mais aussi des communautés voisines pourront venir se faire soigner ici. Ils n‘auront plus à descendre jusqu‘à Rurrenabaque, trois heures de pirogues plus loin. »





Il n’y a pas d’électricité à Asunción del QuiquibeyUne poignée de maison ainsi que l’école sont en revanche équipées de panneaux solaires. 
L’eau est acheminée par un système de canalisation depuis une source potable située à un kilomètre et demi du village.



Un autre projet cher aux habitants d’Asunción est la construction d’une auberge permettant d’accueillir des touristes au sein même du village. En pratiquant ce genre d’ouverture, les natifs espèrent avant tout se donner une importance économique aux yeux du gouvernement. Ogan est partie intégrante de cette nouvelle dynamique. Après avoir suivi l'école élémentaire à la communauté, il a étudié le tourisme à Rurrenabaque. Grâce à cette expérience, il balbutie même quelques mots d'anglais. Quand nous évoquons la venue future des touristes et les éventuelles menaces que cela entraînerait pour la tranquillité du village, Ogan coupe court à la discussion : « Notre but, c'est de garder le contrôle total sur ce projet. Dans l'idéal, nous espérons même ouvrir notre propre agence touristique en ville. »




Dans les profondeurs de la jungle



De quelques coups de machette, Jacinto ouvre le sentier à travers la jungle. Moins trapu qu'Ogan, le bougre n'en paraît pas moins à l'aise dans cet environnement où la végétation et les insectes en calmeraient plus d'un. Il s’arrête au pied d’un tronc immense : « ça c'est le momoqui, l'arbre que nous utilisons pour construire nos maisons. Une fois séché, ce bois est tellement dur qu'il est presque impossible d'y planter un clou. Nous ne coupons que pendant les périodes de lune décroissante (période qui suit la pleine lune, jusqu’à la nouvelle lune) pour que la sève descende de l'arbre. » Plus loin, nous repérons l'empreinte d'un gros félin. Probablement un puma venu se désaltérer cette nuit dans le ruisseau qui court entre les arbres. La forme des griffes se distingue parfaitement dans la terre mouillée. L'animal est là, quelque part. Peut être à dix kilomètres, peut être à portée de voix. 



Traces de griffes sur un arbre et empreintes du fauve.



Nous nous arrêtons ensuite au pied d’un palmier marcheur. Pour survivre à la rudesse de la jungle, la plupart des plantes ont développé leurs systèmes de défense. Certaines sont simplement couvertes d’épines, d‘autres sont empoisonnées. Mais le palmier marcheur fait preuve de plus d’originalité : c’est un arbre capable de se déplacer pour trouver le meilleur sol ou l’endroit le plus ensoleillé. Son tronc est monté sur ses racines comme sur des échasses et ces dernières poussent dans une direction en se desséchant de l’autre. Il peut ainsi avancer d’une trentaine de centimètres par ans. 



Le palmier marcheur, debout sur ses racines. Un arbre fantastique, capable de se déplacer pour trouver le meilleur sol ou l’endroit le plus ensoleillé.




Très vite il parait évident que la jungle ne recèle plus aucun secret pour les indigènes. Jacinto, qui nous guide à travers la forêt, semble connaitre les vertus de chaque plantes, les caractéristiques de chaque bois. « Ça, c'est la chito. Quand la nourriture manque, on utilise ces feuilles pour pêcher un maximum de poissons en peu de temps. Il suffit simplement de les écraser, puis de les jeter dans une de ces petites mares qui apparaissent à la fin de la saison des pluies, lorsque la rivière baisse de niveau. En quelques minutes, tous les poissons remontent à la surface, morts intoxiqués mais parfaitement comestibles. Là bas, c'est le chima (il désigne un palmier à l'écorce sombre). C'est ce bois flexible dont nous nous servons pour fabriquer nos arcs et les pointes de nos flèches. » Quant à la corde, les indigènes utilisent l’Ambaibillo, un arbre dont l’écorce est dépecée et les fibres effilées puis tressées. 



« La seule chose en laquelle nous croyons,
c’est la pacha mama - la terre mère - 
car c’est elle qui nous donne tout ce dont nous avons besoin. »



La jungle est un environnement d‘une immense richesse. De par leur savoir, les indigènes du Quiquibey ont appris à tirer le maximum de ce milieu pourtant hostile en apparence. « Nous n’avons pas de religion. La seule chose en laquelle nous croyons, c’est la pacha mama - la terre mère - car c’est elle qui nous donne tout ce dont nous avons besoin » lâche Ogan lorsque nous évoquons l’autarcie de la communauté. Sans le carburant qu’ils utilisent massivement pour le moteur de leurs pirogues, les habitants d’Asunción pourraient vivre en circuit fermé des années durant.




Tressage d'un panier servant pendant les récoltes.



Concernant la nourriture, leur approvisionnement en denrées repose sur une agriculture variée et un vaste panel de techniques différentes pour la chasse et la pêche. La forêt vierge regorge de gibier. Pour chasser, les indigènes utilisent aussi bien l’arc que l’escopette, un fusil artisanal conçu avec un morceau de tuyauterie. Lors de certaines traques, il leur arrive également de poser des pièges. Pour le poisson, il y a les filets, les lignes, les plantes empoisonnées… Et quand l’eau du rio est bien claire, les arcs. Une autre pratique consiste à utiliser un poison naturel qui ralenti le poisson et le rend plus facile à flécher. Cette pluralité de moyens dont les indigènes disposent pour trouver de la nourriture est un point très important. De ce fait, les habitants d’Asunción sont parfaitement à l’abris d’éventuelles périodes de besoin.




Le tacu et la manija, afin de séparer les grains de riz de leurs enveloppes.



A cette époque la moisson du riz touche à sa fin. Les récoltes sèchent au soleil ou dans les greniers. Plus tard, les femmes du village utiliseront le tacu et la manija pour séparer le grain blanc de son enveloppe brune. Les villageois cultivent également du maïs, de la yuca (manioc sud-américain) et quantité de bananes plantains. Sans compter le nombre impressionnant d’arbres fruitiers (papayes, cocos, agrumes divers…) ainsi que quelques cultures de cacao, de cannes à sucre et de cotonniers. En marchant à travers les plants, Ogan cueille une petite boule d’ouate couleur crème : du coton, qui sera ensuite filé par les femmes du village, puis teint à l’aide de colorants naturels. Enfin, à force de longues heures passées sur d’antiques métiers à tisser, apparaîtra un marico. Ces sacs à bandoulières que les hommes du village utilisent en toutes circonstances, pendant les labours comme pour la chasse.



Tissage d'un marico.
Ces sacs de coton se portent en bandoulière.




Filage de la laine par une femme du village. Le coton est cultivé à la communauté, 
filé, puis teint à l’aide de colorants naturels.




Petit matin sur la jungle. Les arbres sont encore noyés dans la brume et une véritable tempête sonore envahit la forêt. Comment une oreille - même relativement entraînée - pourrait elle déterminer avec précision l’origine de chacun de ces bruits étranges ? Certains sons paraissent mystérieusement amplifiés. Comme le chant de cet oiseau qui rappelle le "ploc" d'une goutte d'eau avec un étrange effet de réverbération. Soudain, une série d’aboiements et de beuglements furieux déchirent le calme matinal. Un chien lancé à la poursuite d’une truie terrorisée passe en hurlant à la mort dans tout le village. La cloche de l’école retentit et les enfants en uniforme s'en vont pieds nus sur le chemin de l’école.

Plus loin sur le sentier, la casa de Jacinto. L’ami habite ici avec ses deux petits garçons, sa femme et ses deux filles (auxquels s’ajoute toute une flopée d’animaux: chiens, cochons, coq, poules, canards…). La vie de la famille s’articule autour de deux bâtisses. La première est un haut toit en feuilles de palmes que Jacinto a bâti de ses mains. Une telle structure, totalement conçue à base de matériaux naturels, reste imperméable aux eaux de pluie plus de quinze ans après sa construction. Il y a là deux lits (les enfants dorment tous ensemble) sous des moustiquaires. En guise de matelas, deux esteras : des paillasses conçues avec des feuilles de canne flèche (une sorte de roseau que les indigènes appellent cañabrava). Une autre bâtisse fait office de cuisine. La pièce est sombre malgré le petit feu qui brûle continuellement dans un coin. Accroupi sur la terre battue, Jacinto prépare quelques empañadas, ces petits pains fourrés à la viande ou au fromage. Sa femme dépose une vieille poêle noircie au dessus des flammes. 



« Attraper quelques piranhas pour le repas du soir… »



 « Nous allons voir si nous avons de la chance aujourd‘hui… » souffle Jacinto entre deux bouchées. En effet, aussitôt nos assiettes vidées, Jacinto et Ogan fourrent chacun un morceau de viande dans leurs maricos et nous nous mettons en route pour un lac situé à une petite heure du village. Le but de l’expédition est d’attraper quelques piranhas pour le repas du soir. Il suffit d’une simple ligne enroulée autour d‘un morceau de bois. Pas de canne ni de bouchon, juste un plomb et un gros hameçon. On rajoute cependant un petit morceau de fil de fer entre la ligne et l’hameçon pour éviter que les piranhas ne viennent trancher tout ça d’un simple coup de mâchoire.



La pêche des piranhas, délicieux une fois frits.




La suite est une question de réactivité. Quand ils attaquent, ces diables mettent une poignée de secondes à dévorer le morceau de viande sur l‘hameçon. Il s’agit donc de ferrer d’un coup sec et très rapidement. Ogan fait cela tellement bien, qu’une fois sur deux il tombe en arrière, emporté par son élan. En deux heures, nous sortons une quinzaine de piranhas et quelques poissons chats. Les deux indigènes enveloppent le tout avec de grosses feuilles d’arbre et hop, dans le marico ! Toutes nos prises seront partagées le soir même avec les habitants de la communauté.



Tressage d'une estera, sorte de paillasse en feuilles de cañabrava.


Retour au village, nous sommes dans la casa d’Ogan. Un arc et des flèches sont posés dans un coin. Les flèches les plus grandes (presque un mètre cinquante) servent pour la pèche. Leur longueur les empêche de dévier de leur trajectoire lorsqu’elles pénètrent dans l’eau. Juste à coté, le petit feu est presque éteint. Au dessus des cendres encore fumantes, sur une grille couverte de suie, un morceau de viande de tapir et une grosse tête de poisson chat. Assise en tailleur à même la terre battue, la femme d’Ogan tresse une estera. Ses gestes sont rapides, pleins d‘automatismes. Si bien qu’en un quart d’heure, la natte est terminée. 



Un savoir glané au fil des siècles


Il y a mille ans, c’était les mêmes mouvements, les mêmes habitudes remontant à la nuit des temps qui venaient à bout des tâches journalières. Aujourd’hui, à Asunción del Quiquibey, on continue d’entretenir ce savoir. Comme l’explique Ogan : « à Rurrenabaque, les démonstrations sur les traditions indigènes auxquels assistent les touristes ne sont que du spectacle. Des acteurs enfilent un costume et utilisent des objets qui ne font plus partie de leur quotidien depuis des années. Ici, à la communauté, il ne s‘agit pas d’une pièce de théâtre. C’est ainsi que nous vivons ».




La fabrication des flèches. Les pointes sont taillées dans du bois de Chima. 
C'est cette même palme noire que les mosetenes utilisent pour fabriquer leurs arcs.



À Rurrenabaque, on trouve également des tours "voyage à l’ayahuasca" avec petit-déjeuner compris et chaman bilingue anglais/espagnol. Ogan nous parle aussi de certaines agences qui prêtent des machettes aux touristes lors des excursions dans la jungle. Groupe après groupe, la forêt est ainsi saignée sans ménagement ni raison par des vacanciers jouant à Indiana Jones. 




Pour la fabrication de leurs pirogues, les indigènes utilisent souvent le cèdre, l’hitauba ou l’hochoha (un arbre de la jungle dont la sève est urticante). Ce sont des bois très durs, résistant à l’épreuve des termites et du temps. Quatre jours de travail suffisent pour qu’une nouvelle pirogue soit mise à l’eau. C’est bien peu quand on sait qu’une telle embarcation servira encore dans une quinzaine d’années.



Lorsqu’il s’avance pour souiller les derniers jardins de la terre, le malin peut revêtir plusieurs masques. Le tourisme n’est qu’un subterfuge parmi d’autres. Depuis quelques années, c’est dans le costume du prospecteur de compagnie pétrolière que « les nouveaux colonisateurs » - comme les appelle Ogan - saluent régulièrement les indigènes du Pilón Lajas. Golf, Shell et Total ont menés plusieurs campagnes d’exploration dans la région depuis les années 1970. Il est possible que la zone recèle des gisements d’hydrocarbures. Aucune extraction n’a débuté pour le moment, grâce au statut de secteur protégé. Mais en 2003, un projet de lois visant à autoriser l’installation des exploitants pétroliers sur certaines réserves naturelles était examiné par le gouvernement bolivien.



Bosquet des Mapojos : Impossible de savoir l’âge de ces arbres. 
Pour en faire le tour, on compte une vingtaine de mètres.




Face à de telles prétentions, les habitants du Quiquibey savent qu’ils ne pourront pas garder leur destin en main bien longtemps. Divers institutions sont censées représenter la cause des natifs. Il existe même une organisation internationale basée en équateur. Mais tout cela ne pèse pas bien lourd pour contenir le grand incendie qui s’apprête à ravager la bibliothèque du savoir indigène. Car il ne s'agit pas là de la simple disparition d'un groupe d'individus. De la forêt amazonienne aux sommets de la cordillère des Andes, c’est un savoir, un mode de vie et une vision du monde qui se perdent à jamais.



Un projet de centrale hydro-électrique pourrait venir bouleverser les rivières du Pilon Lajas d'ici quelques années.


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Comment se rendre à Asunción del Quiquibey 


   Avec le développement d’un projet d’éco-tourisme au sein même de la communauté, le savoir indigène devient accessible à tous, sans passer par les livres d’anthropologie. Pour se rendre à Asunción del Quiquibey, il faut d’abord gagner La Paz. Sachant que l’aéroport de la capitale bolivienne n’est pas desservi par les vols Air France, prévoir une escale à Madrid ou Lima (Pérou). 

Pour aller ensuite jusqu’à Rurrenabaque, il existe deux solutions: l’avion ou le bus. Dans ce deuxième cas prévoir une vingtaine d’heures de trajet à bord d’un bus dépourvu de tout confort et sur des routes de terres complètement cabossées. Une fois cette épreuve passée, il ne reste plus qu’à faire une demande à l’office de direction du parc (réserve de la biosphère et territoire indigène du Pilón Lajas).

Les indigènes viendront directement vous chercher en pirogue à Rurrenabaque. Comptez à peu près trente euros par jour pour la nourriture, le carburant de l’embarcation et le guide dépêcher parmi la communauté pour vous accompagner tout au long du séjour. 




Grosse partie de foot, le soir tombe sur la jungle.



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Le crépuscule des peuples natifs


   Les premières grandes exactions contre les populations indigènes interviennent avec le boom du caoutchouc dans la deuxième partie du XIXème siècle. L’esclavage, les massacres et la propagation d’épidémies contre lesquelles les peuples natifs n’étaient pas immunisés eurent des effets dévastateurs. Pendant cette période, la population indigène d’Amazonie fut exterminée à 90% (d’après l’ONG Survival International). Les atrocités se perpétrèrent pendant toute la durée du XXe siècle. 

En 1963, eu lieu le massacre du onzième parallèle au Brésil. Les villages des tribus de Cinta Larga se trouvaient sur la route des activités commerciales de l’entreprise d’exploitation de caoutchouc Arruda, Junqueira & Co. Le directeur de cette compagnie, Antonio Mascarenha Junqueira affréta un avion pour larguer des bâtons de dynamite sur les villages et « éliminer ces pestiférés ». Puis ses hommes de main furent envoyés sur les lieux afin d’achever les derniers survivants.

Aujourd’hui, les actes génocidaires n’ont pas cessés. On peut notamment évoquer le cas des tribus du Rio Prado, toujours au Brésil. Les derniers représentants de ces peuplades sont mis en déroute par les exploitants de bois « lourdement armés » (toujours d’après un rapport de Survival International).

Les autres menaces pour les populations d’Amazonie sont à mettre sur le compte du progrès. Les pays d’Amérique Latine traversant actuellement une phase de développement effréné. Constructions de nouvelles routes, de centrales hydro-électriques, recherche de gisements de pétrole ou de gaz naturel sont autant de menaces pour les territoires indigènes.

La forêt vierge est aussi continuellement rongée par les communautés agricoles qui empiètent sur la jungle pour créer de nouvelles parcelles cultivables. Au Brésil, ces expropriations entraînent des vagues de suicides au sein des tribus.



Textes Hugo Charpentier - Photos Arthur Courtois

dimanche 28 juillet 2013

Valparaiso : Manif étudiante du 11 avril 2013



Au Chili, 25 % du système éducatif est financé par l'État. Pour entrer à l'université, les étudiants doivent donc payer de leur poche les 75 % restant. Dans les villes comme Santiago, Conception et Valparaiso, des mouvements protestataire éclatent régulierement pour demander une réforme de ce système remontant à la dictature de Pinochet. Déguisements, tambours, chants... puis la foule débouche sur une place. Une étincelle et la moitié des manifestants se masquent le visage. La suite, c'est cocktail molotov, lacrymos et charge de la cavalerie.



Toute la manifestation est filmée (par les carabineros, comme par les manifestants) pour éviter les bavures. Quand un encapuchados se fait serrer, tout le monde se précipite vers lui en filmant et en lui demandant de crier son nom pour prévenir ses proches.

Quand une vingtaine de policiers montés chargent le cortège, un type est écrasé à coup de sabots. Des médecins bénévoles, le visage à demi recouvert par leurs masques à gaz, s'occupent d'aider les blessés.




Textes Hugo Chapentier - Photos Arthur Courtois

samedi 27 juillet 2013

Longue escale à Valparaiso




« Me encantaria volver a Valparaiso. »













Cerro Polanco : Festival de graffiti Latinoamericain.
79 artistes, 30 murs...







L'appartement où nous logeons. Normalement, quatre personnes habitent ici. Mais certains soirs nous sommes plus d'une dizaine à squatter le deuxième étage de cette petite maison posée sur la colline. Des voyageurs originaires des quatre coins du monde et rencontrés grâce au couchsurfing. C'est une véritable auberge espagnol. Un lieu à l'équilibre bancale mais néanmoins solide grâce à la bonne volonté de chacun. La vie s'organise naturellement et le soir, nous couvrons le plancher de matelas pour que tout le monde puisse dormir.






Feria del Domingo, crayonné.




Textes Hugo Charpentier - Photos et illustrations Arthur Courtois

mardi 28 mai 2013

Dans les parages du Horn



Cabo de Horno, le terrible Cap Horn.


«Tu ferais bien de prévenir tes proches avant d’embarquer avec deux cinglés de polaques.» La phrase avait roulé toute seule de la proue à la poupe. Sur le moment, je me demandais si ce n’était pas une vague plus grosse que les autres qui avait fait grincer Selma contre ses amarres. Aussitôt le capitaine remettait son nez dans le bulletin météo. Nous étions encore à l’amarre dans le port d’Ushuaia et je m’en allais régler les derniers détails avant le grand départ.

Il n’est jamais trop bon de faire ses plans à l’avance. J’étais donc venu à Ushuaia sans vraiment savoir ce que j’allais y faire. La ville en elle-même n’avait que peu d’intérêt. C’était un amoncellement d’immeubles décrépits construits autour d’une rue principale dont les vitrines puaient le croque-touriste. De monstrueux complexes hôteliers gangrenaient les montagnes alentours. Le casino, un énorme bunker en béton, mettait une touche finale à la tristesse du tableau. L’ensemble n’avait strictement rien à voir avec l’émission de Nicolas Hulot. Il y a quelques années, Ushuaia avait sans doute été un havre de paix épargné par les vices du business. Aujourd’hui, seuls quelques caisses de dynamites semblaient en mesure d’améliorer le paysage.

J’étais sans doute attiré par le parfum du large et l’idée de voir le bout du monde. Mais l’aventure pousse toujours son homme plus loin vers le sud. Le premier matin, j’étais donc descendu sur le port à la recherche d’un embarquement. Peu importait la destination, seul comptait alors la perspective de naviguer.




Dans le port d'Ushuaïa.



Le port d’Ushuaïa a tout d’une colonie française. Il n'y a qu'à lire le nom des bateaux amarrés là. Podorange, Esprit d’équipe, Le Boulard… D’un voilier à l’autre, ça discute prix du boot et bon mouillage, un mug de café ou une cigarette roulée à la main. Et le tout dans la langue de Molière, comme sur une jetée bretonne. « On est complet, demande au bateau rouge… ». Et c‘est là, parmi cette foret de mats franchouillards que je rencontrais Selma. Un ketch de soixante pieds battant pavillon polonais.

Tomasz Łopata, le capitaine, avait déjà bien roulé sa bosse dans les eaux du Horn et parmi les glaces de l’océan Austral. Il affectionnait d’ailleurs particulièrement ces voyages vers l’Antarctique. Là où la météo pouvait changer du tout au tout en quelques minutes. Quand il fallait veiller les icebergs, parfois dans le gros temps, presque toujours dans des conditions difficiles. Rien de comparable avec le modeste cabotage autour de la Terre de Feu pour lequel Selma devait appareiller le lendemain. L’expédition devait durer une dizaine de jour. Il restait une couchette à bord, j’étais donc de la partie. 

Nous étions neuf à participé au voyage. Les gens de la mer sont des personnages particulièrement racés et il y avait naturellement quelques perles dans le lot. Gustav, un allemand, était de celles là. Quand je le rencontrais, il avait déjà une bonne dose de kilomètres dans les guibolles. Nous allions si bien nous entendre que même après Selma nous ferons un bout de route ensemble.

Et puis il y avait Andrew, un lituanien ou plutôt un citoyen du monde. Dix ans que ce brigand avait décidé de faire un bras d’honneur à la civilisation et qu’il vivait sur son bateau. Un jour il participait aux campagnes de pêche les plus dangereuses de la planète en mer du Groenland. Le lendemain il écumait les côtes africaines ou chassait la baleine au large de la Norvège. La premier fois qu’il avait traversé l’Atlantique, c’était sur une coquillette de sept mètres. « J’ai vécu des moments très forts avec ce bateau et quelques parties d’amour que la bienséance ne me permet pas de détailler ici. »



Andrew et son nouveau bateau. Un ketch de douze mètres construit sur le même modèle que le Joshua de Bernard Moitessier. Le premier navigateur a avoir accompli un tour du monde en solitaire et sans escale par les trois caps.



Andrew s’exprimait souvent comme un gentleman. C’était pourtant un sacré lascar. D’autant que sa première transatlantique en solitaire avait tout d’un véritable braquage. «Une expérience enrichissante cher ami. Mon embarcation prenait l’eau et j’étais obligé de calfeutrer la coque avec des morceaux de bottes en caoutchouc.» Un matin, il s’était réveillé au milieu d’un calme plat. Trois jours durant il avait attendu que le vent revienne. Le troisième jour il s’était mis à ramer. « A un moment je me suis arrêté, et je me suis dit que je devais vraiment avoir l’air d’un fou. Là, tout seul à ramer au beau milieu de l’Atlantique. » Finalement le vent était revenu. Après cinquante-quatre jours de mer sans croiser âme qui vive, Andrew avait fini par apercevoir les cotes du nouveau continent. 

Nous y voilà. Le nez de Selma décolle doucement du quai. Thierry, le skipper d’Esprit d’équipe, nous souhaite une bonne ballade. Il a neigé cette nuit sur les montagnes autour d’Ushuaia. Cap à l’est et nous naviguons déjà sur le canal de Beagle. Des familles de lions de mer sautent tout autour de la coque et je sais que dans quelques minutes, le silence s’installera à bord. Extinction du moteur. Voilà Selma qui fil sept nœuds sous le foc, l’artimon et la grand voile à un ris. Elle se courbe, gite légèrement pour épouser la rafale. Chaque petit souffle qui nous pousse, chaque minute à la voile est une victoire. Les albatros s’écartent sur notre passage et laissent Selma poursuivre sa route. Là bas, vers le Horn.




Nous larguons les ris. Dans quelques instants Selma s'élancera à la voile.



Première escale à Puerto Williams, sur l’île Navarino au Chili. C’est la ville la plus australe de la planète. Le Cap Horn étant en territoire chilien, il s’agit simplement de faire tamponner nos passeports. Nous passons une nuit dans le petit port où un ancien navire de guerre à demi-coulé sert à la fois de quai et de capitainerie. 

Le lendemain, nous gagnions Puerto Torro. Une poignée de maisons en bois construites autour d’une petite chapelle. Cinq familles vivent ici grâce à la pêche du centoya. Dans les restaurants chics, à l’autre bout du monde, une assiette de chaire de ce fameux crabe géant peut valoir plusieurs centaines d’euros. Sur le ponton, au milieu des hommes occupés à réparer les nasses, les gars se font des passes avec un ballon. Un match entre Puerto Torro et l’équipage de Selma est rapidement organisé. Le maître d‘école nous ouvre les portes du gymnase et le coup d‘envoi est donné. Trois équipes de quatre, on tourne à chaque but. A la fin de la partie, un pécheur nous passe deux énormes crabes. Avec ceux que Tomasz a échanger contre du whisky et des cigarettes, ça nous en fait une bonne dizaine. A bord, c’est un vrai festin de banquier que nous nous offrons. Puis nous levons l’ancre dans la soirée pour une première navigation nocturne.




Puerto Toro, la ligue du crabe géant.



Quatre heures du matin, nous sortons des couchettes. C‘est le début de notre quart. Éclairés par la lumière rouge de la cabine, nous nous équipons sans échanger un mot. Chacun passe plusieurs couches de vêtements avant d’enfiler la veste et le pantalon de quart. Un café avant de monter sur le pont et nous plongeons nos regards endormis dans la nuit sombre. Parfois, nous perçons le rideau d’obscurité et devinons la forme d‘une île. Alors on jette un coup d’œil au compas et on met quelques degrés dans la barre pour corriger la route de Selma. Si bien que nous filons droit sur le canal comme sur une autoroute.

Dans le cockpit, nous ne sommes qu’un point sur le radar. Une suite de chiffre indiquant notre position. Mais dehors sur le pont, il n’y plus aucune notion d’espace. Selma est totalement enveloppée dans les ténèbres. Debout dans cette bulle glaciale, je ne suis qu’un être pensant, immobile et silencieux. Toutes ces petites choses qui me brouillaient l’esprit ont disparues. Envolées, elles n’avaient pas leurs places ici. Le monde semble tellement loin que je me demande si il a vraiment existé un jour. Même le temps est élastique, les heures durent une éternité ou passent parfois en quelques secondes. 

Une fois le soleil couché, la mer devient un univers sonore. Il n’y a qu’à voir le grand mat se balancer avec la houle comme un métronome entre les étoiles. C’est lui qui donne le tempo de cette formidable symphonie naturelle. Le battement d’aile d’un albatros pose quelques notes sur cette partition silencieuse. Puis des dauphins soufflent et sautent tout autour de Selma. Nous ne pouvons pas les voir mais ils sont là. Un coup de lampe frontale et deux petites boules vertes apparaissent sous la surface. Le bonhomme nous regarde sans pour autant s’arrêter de nager dans notre sillage.



En haut du grand mat



L’aube est grise, sale. Nous regagnons la cabine et ôtons nos vestes de quart dégoulinantes d’eau salée. Quelques heures de sommeil et au réveil nous naviguons entre les îles Wollaston. Un ensemble de rocs sinistres et d’îlots malades dépourvus d’arbres. L’île du Horn est l‘ultime terre de cet archipel ravagé. Nous l’abordons par le nord, de façon à passer le terrible cap d’ouest en est. C’est-à-dire au portant si le vent ne change pas. Le nez de Selma fait l’ascenseur et soulève de gros paquets d’eau noir. Tout autour règne une atmosphère de désolation.  

Et le voilà. Le cap Horn et ses sombres falaises plongeants dans les deux océans. Nous sabrons le champagne et la chevauchée des Walkyries résonne sur le pont. Il était prévu de stationner dans une petite crique. D’aborder l’île avec le dinghy et de visiter le phare ainsi que la petite chapelle à la mémoire des marins disparus. Silencieux, le capitaine observe les grosses vagues se briser contre les rochers. « Ok, it’s maybe not a good idea. Some kind of storm is coming. » 




Le capitaine sabre le champagne au large du sombre rocher.



Il ne fait pas bon s’attarder par ici. Nous virons donc de bord et mettons cap au nord-est. En quelques minutes, le ciel déjà chargé de nuages noirs s’assombrit encore. On dirait qu’il fait nuit. Pourtant le soleil n’est pas censé se coucher avant plusieurs heures. Nous traversons un mauvais grain et le pluie gifle le cockpit de Selma. Puis des éclairs commencent à flasher, illuminant par instant cette obscurité surnaturelle.

Perché la haut, le gardien du phare avec qui nous sommes en contact radio ne doit pas voir beaucoup de jours de beau temps dans l‘année. Mais ce qui frappe le plus lorsque l’on a franchit le seuil de ce cimetière marin, c’est bien la vitesse à laquelle les conditions peuvent évoluer. Il a suffit d’un cour instant pour que d’une météo cireuse mais néanmoins potable, nous soyons projeter dans les ténèbres.



Le Cap Horn déposé dans le sillage de Selma.



Le Horn est loin à présent. Nous avons remis le cap au nord. Après un voyage au pays des bateaux fantômes, nous retrouvons les eaux grouillantes de vie du canal de Beagle. Lions de mer, pingouins, albatros… Et les dauphins de Commerson avec leurs robes noires et blanches. Nous croisons même une baleine à bosse et son petit. Malgré tout ce beau monde, Selma continue sa route, imperturbable. Il suffit d’écouter le bruit de l’eau contre l’étrave pour savoir si le bateau est heureux ou non. A la voile, ce n’est qu’un long soupir de consentement. La coque d’acier, le grand mat et les haubans… Chaque pièce, chaque morceau de boot encaisse la force du vent et gémit de plaisir. Mais quand le moteur redémarre, Selma ronchonne en toussant.




Banc de sardine dans le canal de Beagle.



Nous repassons au large d’Ushuaïa. La deuxième partie de l’expédition doit nous mener à travers le Canal de Beagle jusqu’à la lisière de l’océan pacifique. Ce labyrinthe de fjords et de canaux a ses gardiens: les glaciers. D’immenses colosses d’un bleu électrique suspendus aux flancs des montagnes ou plongeants dans les calanques australes. Quand nous approchons d’un de ces monstres, l’eau salée se couvre d’iceberg. Quentin, l’autre français du bord se poste alors en figure de proue et écarte les plus gros morceaux de glace avec une gaffe.




Navigation au pied du glacier.



D’énormes blocs se détachent parfois des hautes parois gelées. D’assourdissants coups de tonnerres résonnent alors dans les fjords tranquilles. Nous mettons le dinghy à l’eau pour quelques ballades au chevet de ces titans d’un autre âge. Un polonais de l’équipage s’offre même un bain. Et même deux, parce que « la seconde fois, on a l’impression que l’eau est bouillante ».




Le dinghy donne une idée de la taille du monstre.



Le Canal de Beagle regorge de petites criques silencieuses où l’on peut mettre en panne et jeter l’ancre pour la nuit. Des paradis terrestres néanmoins pièges à cause du williwaw. Un vent terrible descendant des montagnes et qui a pour effet de faire chasser les bateaux au mouillage. Si bien que même à l’arrêt, nous sommes obligés de nous relayer jusqu’au petit matin pour veiller une Selma somnambule. « Ceux qui ne savent pas qu'un voilier est un être vivant ne comprendront jamais rien à la mer.* » Même immobilisée, ficelée par trois lignes*, Selma continue de respirer. L’eau joue contre la coque et le souffle d’une brise entraîne un léger frémissement dans les haubans.

La dormeuse s’agite un peu dans son sommeil. Je pose la canne à pêche et jette un coup d’œil aux instruments. Nous n’avons pas bougé. Dans quelques minutes il sera quatre heures du matin. Je pensais attraper un autre de ces petits poissons verts et flasques mais c’est la fin de mon quart. Je descend réveiller Andrew. En deux minutes, le lituanien est sur le pont et nous commençons à discuter dans la nuit froide. Avec son accent anglais d’agent du KGB, il me raconte ses campagnes de pêche dans l‘océan Arctique.

« Tu sais qu’à chaque prise tu fais un billet. Les parts sont divisées entre l’armateur, le capitaine, les autres marins et toi. Le bateau traîne des lignes de plusieurs kilomètres avec des centaines d’hameçons. Un jour tu tombes sur la mine d’or, le banc de poisson ultime. Tu remontes, tu remontes et d’un coup tu lèves les yeux. Là tu vois des vagues hautes comme des maisons et un vent à la limite de l’ouragan… Ton capitaine te dit qu’il faut rebrousser chemin mais toi tu ne penses qu’à l’argent et à cette zone d’enfer que tu laisses filer... »




Sous le ciel des hautes latitudes



Nous parlons aussi des voyages et surtout des voyageurs. Il m’explique que la quasi-totalité des skippers traînent la même histoire derrières eux: tous partent vivre sur leurs bateaux après un divorce. Son anecdote me rappelle le périple d’un normand qui des suites d’une séparation, avait pris son vélo pour visiter les cinq continents. Le type avait déjà fait vingt trois mille kilomètres à travers l’Europe, l’Afrique et l’Asie. La tête dans le guidon, il venait de traverser le Cambodge en quatre jours. Quand il passait dans un village il ne s’arrêtait même pas de pédaler. Tout ce que cet homme là connaissait des pays qu‘il avait visité, c’était l’état des routes et les postes de douanes. 

Certains se perdent dans le voyage. Pour Andrew les choses étaient un peu différentes. Le lituanien n’avait pas fait son sac à cause d’une femme. Sa rupture concernait un mécanisme bien plus vaste: la société moderne. Pour lui, appartenir à un groupe signifiait trop de compromis. Tout cela ne valait pas le fait d’être libre simplement. Il me parlait d’un sud-africain rencontré sur un quai, aux Antilles. Ils avaient discuté de la situation catastrophique en Afrique du sud. « Ses paroles m’ont vraiment inspirées dans ma façon d’agir par la suite. Il m’a dit: je ne vais pas payer pour un gouvernement qui se servira de mon argent pour faire de la merde. » 

Un peu plus tard dans mon voyage sur Selma, j‘ai rencontré un autre de ces oiseaux du grand large. Il était originaire de Belgique et ne devait pas être très éloigné de la barre des soixante printemps. Arrivé en Patagonie avec son bateau une dizaine d’années plus tôt, il avait pour ainsi dire élu domicile dans un fjord appelé Caleta Ferrari. L’endroit se situe à une trentaine de milles nautiques d’Ushuaïa, c’est-à-dire au beau milieu de nulle part. Dans ce lieu magnifique, enclavé entre les montagnes, l’eau du canal semble si calme que l’on a l’impression de naviguer sur un lac. Il y a là une ancienne estancia, autrefois l’un des plus grands élevages de mouton en Terre de Feu. Aujourd’hui seuls quelques chevaux paissent tranquilles dans ce décor de premier matin du monde.



Caleta Ferrari



« Ce n’est pas moi qui donne de l’argent à l‘état, c’est la Belgique qui me paye pour que je reste ici. » Ainsi parlait cet homme dans sa retraite dorée.

Je suis à la barre entre Puerto Williams et Ushuaïa. Le reste de l’équipage est à table, Selma se traîne à quatre nœuds au moteur. En face, l’eau du canal moutonne franchement, le vent devrait forcir. Voilà mon lituanien qui sort la tête du cockpit. « Ok, let’s go for sailing now ! » Il attrape la poignée du winch et commence à manœuvrer l’écoute de Foc. De mon coté je lâche l’enrouleur. Et voilà Selma qui s’élance comme si elle allait s’envoler et se met à filer huit nœuds alors que nous sommes au près. « Great performance my friend ! » Ce soir nous fêterons notre retour dans le port d’Ushuaïa.




Navigation dans le canal de Beagle



C’est incroyable ce que l’on peut faire en une journée lorsque l’on se lève tôt. Nous passons trois heures à refaire le monde pendant que le capitaine pique un somme pour récupérer de sa gueule de bois. Puis nous récurons le bateau des fonds de cale au grand mat. Le ventre de Selma, c’était notre maison pendant ces deux dernières semaines. Maintenant le sac est à nouveau bouclé. Tomasz rentre en Pologne, Andrew va retrouver son bateau et hiverner à Puerto Williams. Tout comme Selma qui va également passer l‘hiver dans le petit port chilien. Quant à Gustav, Quentin et moi, les trois moussaillons s’en vont poursuivre leurs voyages vers le nord. Pendant ces dix jours de mer, c’est comme si quelque chose avait changé et les choses m’apparaissent plus nettes. 

La brume s’est finalement levée. Quelqu’un a crié « Terre ! » et j’ai découvert mon Amérique intérieure.









* Ceux qui ne savent pas qu'un voilier est un être vivant ne comprendront jamais rien à la mer : Bernard Moitessier - La longue route.

* En plus de l'ancre, lors des mouillages nous fixons des lignes de boot rattachées à la terre.


Le site de Selma Expedition





Textes : Hugo Charpentier
Photos : Tomasz Zak, Stanisław Kalicki Adres,
Gustav von Blanckenburg, Quentin Le Breton.
Graphisme : Arthur Courtois