jeudi 28 février 2013

Chiloé - L'île aux pirates




Les chilotes ont décidément un gros souci avec l'alcool. A tel point que sur l'île, la boisson est considérée comme un véritable problème de société. Diagnostique sévère mais néanmoins mérité. L'isolement, la philosophie des métiers de la mer et une sacrée bonne dose d'ennui apparaissent comme les causes évidentes à l'origine de ce fléau. Si au fil de notre route, il nous arrive de croiser quelques soûlards peu recommandables, il ne faut pas juger le bel archipel sur quelques faits d'ivrognerie sporadique. Deux d'entre eux resteront néanmoins gravés dans nos mémoires. Une soirée rudement arrosée à Ancud dans un endroit appelé Retro Pub, et une fête villageoise à Queilen qui outrepassa de loin tout ce que nous aurions pu imaginer. Formidable démonstration de folklore locale, un tel moment d'ébriété mérite bien quelques lignes. 



Le patron du Retro Pub a su faire preuve d'imagination concernant les noms des cocktails.


Certains signes discrets annoncent la venue des tempêtes. Connaissant ce langage secret, les indiens primitifs étaient ainsi capable de lire l'avenir grâce à d'infimes détails cachés dans le ciel et la terre. De l'hébreux pour nous autres, bien incapables de présager la venue d'un cyclone à quelques indices élémentaires. Mais quant il s'agit de sentir dans l'air la colère prochaine d'une nuit d'excès, nous connaissons notre affaire. Ce samedi là, une étrange rumeur d'agitation se fait ressentir dans les rues habituellement plus calme qu'une allée du Père Lachaise. Dans la tiédeur du soir qui tombe, Queilen sort de sa torpeur routinière. Un léger frémissement, comme un murmure prononcé à demi-mots... Puis les premières secousses du terrible choc que cette petite ville perdue sur la côte est de Chiloé s'apprête à encaisser. 

La bête s'éveille et elle a soif. Guidés par cet imperceptible bourdonnement, nous sortons dîner chez la grosse. Bon nombre de chiliens flirtent en effet avec la barre des cents kilos. Il semble d'ailleurs évident que la malbouffe fasse tout autant de dégâts chez les habitants de ce pays que l'alcool pernicieux. Mais notre cantinière mérite vraiment son sobriquet. Pendant qu'elle nous prépare son traditionnel pavé de saumon à la plancha et ses papas fritas maison, nous avons pris l'habitude de commander un tout petit verre de pisco Mistral. Outre l'effet de nous ouvrir l'appétit, ce breuvage possède également la vertu de délier les langues avant de passer à table. Nos assiettes vidées, nous sommes tout naturellement d'humeur à causer et gagnions un carré d'herbe jaunie au beau milieu duquel trône une balançoire rouillée.

Sujet du jour: le retour en France. Que ferons nous quand ayant suffisamment usés nos semelles sur les routes d'Amériques du sud, nous devrons regagner notre petit pays, ranger le sac à dos au placard et trouver du travail ? Comment guiderons nous notre barque à travers la brume morose des hivers sans fins et les dangereux récifs des cités-dortoirs ? Pour nous autres qui craignons d'avantage les caprices d'un vieux continent pervers aux périls sauvages des chemins d'Amérique, il n‘y a qu‘une seule alternative. Il faudra passer outre, remplir notre part du contrat avant que le sac à dos n'ai trop pris la poussière. Relever ce nouveau défi pour espérer revoir un jour les petits matins du bout du monde. 

Nous stoppons net toute méditation. Deux silhouettes approchent de notre petit jardin malade. Les voyant arriver de loin, nous leur adressons un grand salut de la main. Nos gaillards, "Yean-Pierre", un petit gros fin saoul, et Carlos l’Español, vaguement plus serein, rentrent tous deux de la pêche. Comme la plupart des habitants de Queilen, ces numéros là vivent de la mer. En nous montrant la sirène tatouée sur son biceps, Carlos, seul maître à bord après Dieu, nous explique les ficelles du métier. A l'aide d'un compresseur lui envoyant de l'air sous l'eau, c'est lui qui plonge pour ramasser les coquillages servant à la préparation du célèbre curranto. Un plat copieux, spécialité locale à base de fruits de mer, de viande et de pomme de terre. Le tout cuit à l'aide de pierres chauffées au feu, dans un trou creusé à même la terre et recouvert de branchages. "Yean-pierre", premier matelot, tente également de nous expliquer quelque chose. Mais malgré ses gesticulations, nous ne saisissons absolument rien à son baragouin. 



Carlos l’Español, capitaine. "Yean-Pierre", son second.


Nos deux brigands nous entraînent vers le bal du village. Une embuscade, un piège terrible dans lequel nous sautons la tête la première. Entre les taules mal raccordées d'une vieille grange reconvertie en salle des fêtes émanent les notes étouffées d'une musique démoniaque. Mélange savant de country virile et de sonorités latinos balancées à deux cents à l'heure. Sur scène, un percussionniste s'acharne sur ses cloches à vache derrière deux crooners en tenue de gaucho. La partie mélodique est assurée - à une seule main s'il vous plait - par un quatrième énergumène planté derrière un synthétiseur. Simple et efficace: les meilleurs guinchettes du village s’affrontent sur la terre battue du dancefloor. Entre les chansons, chacun regagne sa table, boit un coup, puis s'en retourne vers la piste quand la batterie reprend sa course effrénée. 





"Tenemos dos amigos franciutes con nosotros esta noche* !" Lâche un des deux crooners au micro. Cette fois nous sommes démasqués, impossible d'échapper à l'extrême générosité des chilotes. Surement étonnés de voir débouler deux gringos dans leur petite sauterie du samedi soir, nos hôtes nous prennent à partie. Besoin de savoir, parler, échanger. Certains insistent pour nous payer des coups et nous nous retrouvons bientôt invités à toutes les tables, trinquant sans discontinuité avec d'illustres inconnus. Anthony, un gars du crue à qui il manque quelques dents, entre-ouvre son sac comme si il souhaitait nous montrer un fabuleux trésor. Dans son barda décousu: pisco, rhum dominicain et tout ce qui bouge.


La soirée va être longue








Une lueur à l'est. Le jour se lève sur un horizon en dent de scie. De l'autre coté du golf de Ancud, les sommets des Andes se dessinent dans le lointain. Immenses silhouettes sombres coincés entre ciel et terre. Puis le soleil envoi sa trogne toute pâle derrière cette ligne de volcans en contre-jour. Nous sommes assis sur le sable avec Anthony, face à ce somptueux spectacle. Une belle brochette de furieux pour profiter de ce royal levé de rideau. Ivre d'avoir trop bu, trop parlé aussi, nous regagnons enfin nos pénates dans le petit jour.






Après quelques heures de sommeil, nous retrouvons les frères de la côte sur le front de mer. Dans l'après midi caniculaire, Carlos l'Español, Yean-Pierre, Anthony et les autres ont décidés de profiter de la plage. Barbotant dans une eau jonchée de bouteilles vides, alignant parfois quelques brasses entre les cadavres. Chacun contribue à soigner la gueule de bois collective à grand renfort de cervezas plus ou moins fraîches. Le soir aux alentours de vingt heures, la boucle est bouclée. Nous abandonnons la partie. Il est temps que nous reprenions notre route, sinon c'est la cirrhose assurée. Et l'idée de finir avec la bedaine d'un Yean-Pierre et le même foie qu'Anthony ne nous plait qu'à moitié...

*Et nous avons deux amis franchouillards avec nous ce soir !



Texte Hugo Charpentier - Photos et illustrations Arthur Courtois

1 commentaire:

  1. OH oui oui ça c'est d'la bonne soirée et les photos sont à point ^^
    Par contre niveau peau on vous confond avec les natif comme même ^^
    la musique sur le site est magnifique c'est la premiere fois que je peux l'entendre et je kiff (537 cuba- orishas : ayayaaaaa!)

    besos grandes los compadres

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