mercredi 27 février 2013

Chiloé - Ballade insulaire



Quelque part entre Fuerte Ahui et Faro Corona, aquarelle.


C'est en lieu à part, presque une anomalie. Pas tout à fait le Chili, pas vraiment le Pacifique, une île à la lisière de l'océan. Culturellement, l'endroit fait également figure d'exception. A travers son histoire, ses mythes et traditions, l'archipel s'est forgé une identité typique et un caractère bien trempé. 

Les chilotes le savent bien. Tout cela constitue une inestimable richesse qu'il est nécessaire de préserver. Il y a quelques années, un pont devait ainsi voir le jour afin d'enjamber le canal qui sépare l'île du continent. Projet refusé. Pour quelques temps encore, Chiloé devrait donc rester ce lieu relativement épargné des folies du monde moderne. 





Mais cet isolement qui fait toute la force de l’endroit pose aussi de sérieux problèmes. Du nord au sud, l’île s’étend sur presque deux-cents kilomètres. Une institutrice qui nous prend en stop nous explique qu’il n’y a pas d’hôpital. "Quand un enfant a mal quelque part, on souffle sur sa blessure et on lui dit qu'il est guérit." Pas sûr que cette médecine douce fonctionne à tous les coups. Mais d’après notre chauffeuse, c’est presque un mal pour un bien. Alors qu’en France, les gens filent aux urgences pour une quinte de toux, ici les petits apprennent à ne pas se plaindre. Ils s’endurcissent et deviennent plus vite des adultes.

C'est donc par bateau que nous franchissons le bras de mer. Direction Ancud, au nord de l'île. Une petite ville pendue à l'océan comme un marmot au bras de sa mère. Le point de départ de nos aventures chilotes.





L'île est un jardin. Un bocage peint dans une palette de vert qui fleure bon la pluie. Nous marchons sur un petit chemin de terre serpentant entre les collines. Le sentier débouche parfois sur de petites plages et nous posons alors les sacs le temps d'une sieste. 





Là, des pécheurs déchargent les nasses de leurs barques colorées. Sous l'œil attentif des oiseaux de mer: goélands, mouettes, vautours à tête rouge... et d'autres que nous appelons gueulards et longs-becs. 





Un peu plus loin, des paysans bourrent d'énormes sacs d'algues brunes. Du cochayuyo que les chiliens dégustent souvent accompagné de fenouil, en salades ou en soupes extrêmement salées. Le soir, nous faisons halte dans une crique à quelques pas d‘un village de pécheur. Couché de soleil rose saumon. Le ciel est bien trop beau, pas la peine de planter la tente. 





Allongés dans l'herbe, nous comptons les étoiles filantes. Le rayon d'un phare tournoi juste au dessus de nos têtes. Et ce flash nous rappel celui de la Tour Eiffel et ces maudites nuits parisiennes. 

Un an plus tôt, c'était cette foutue lumière blême qui éclairait les nuits de l'apparte. "Tu vois, là bas, c'est l'heure où..." C'est l'heure où le métro doit fermer. Où on chope le dernier train pour Pigalle et où la queue s’allonge devant la Machine du Moulin Rouge. Ca crie, ça vomit sous les guirlandes de réverbères du boulevard la Chapelle. Alors qu’ici…

Ici un bateau rentre de la pêche. Le ronronnement du moteur résonne dans l’obscurité de la baie. Nous nous endormons.

Au petit matin, nous sommes réveillés par un berger menant son troupeau vers le prés où nous venons de passer la nuit. Nous le saluons de loin et reprenons notre route. Direction la côte ouest, là où l’île expose ses flancs aux fureurs du Pacifique.

Il y a d’abord Mar del Brava. C’est sur cette plage immense que les grosses vagues pleines d‘écumes viennent se briser après un long voyage à travers l’océan. De belles séries, bien régulières et un petit air de Nord Cotentin. Au beau milieu du sable trône un énorme roc plus haut qu’une maison. Son sommet est coiffé de touffes d’herbes folles que l’on imagine drues et salées par les embruns. 



Mar del Brava


C’est Fabian, un Chilotes qui après nous avoir pris en stop, décide de faire un petit détour histoire de nous montrer l’endroit. Une fois le mode quatre roues motrices enclenché, le pick up s‘élance sur le sable de Mar del Brava. Notre pilote nous dépose finalement à l’autre bout de la plage. Un petit coup de klaxon et il s’en retourne jouer avec son bolide sur le sable.

Nous marchons ensuite jusqu’à Pumillahue. L’endroit effleure de très près l’idée que l’on pourrait se faire de la plage parfaite. Une crique naturelle quasi-fermée entourée de hautes falaises végétales. 







Entre les éperons rocheux déchiquetés par les tempêtes, un pélican tourne dans les airs. Par instant, le bel oiseau amorce un piquet. Il plonge et son énorme bec crève alors la surface de l’eau. 





Puis c’est un nouveau couché de soleil phénoménal. Comme si le ciel et la mer s’embrasaient simultanément. Et une autre nuit à la belle étoile.










Le lendemain, nous rencontrons un vieil homme qui nous demande si nous allons à la Pinguinera. C’est l’attraction locale. Les minibus de touristes s’y agglutinent comme des fourmis autour d’un peau de confiture. A chaque fois que nous croisons un autochtone, la même question revient sans cesse: « Vous êtes allés voir la colonie de pingouin? » Comme si tous les mecs du coin s’étaient passés le mots. Cette fois nous le rembarrons gentiment: « No la Pinguinera es por los gringos. No somos gringos !* » Le brave homme rigole, nous aussi.

En épousant l’île, c’est comme si l’océan s’était mis en tête d’accomplir le travail d’un maître tailleur de pierre. Ni marteau, ni burin, c’est bien le ressac qui par sa besogne millénaire, a sculpté dans le roc brut les formes enivrantes de Chiloé. Longeant la côte, grimpant parfois au sommet des falaises, nous suivons ce qui ressemble à un ancien sentier de douanier.








Deux jours durant, nous explorons les recoins intimes de cette côte majestueuse. Nous passons une autre nuit sur une plage, dans un abris de bois ouvert aux quatre vents.










Arrivés au petit village de Chepu, nous tournons le dos à l'océan. Direction Castro, soixante-dix kilomètres plus au sud sur la Panaméricaine. Une autre route mythique dont le kilomètre zéro se situe… en Alaska. Elle traverse tout le continent américain sur plus de vingt milles kilomètres et se termine ici, à l’extrémité sud de l’île.

C’est comme ça sur toute Chiloé. Il suffit de lever le pouce pour qu’un véhicule s’arrête. Nous sommes épatés par l’efficacité de l’autostop. A l’avant de la camionnette, Horacio, un petit gros originaire d’Argentine tient le volant. Assis à coté, son pote José-Luis, maigre et barbu, nous mitraille de questions. Le voyage, la vie en Europe, la France… Tout y passe. 

« Et comment elles sont les françaises ? Elles sont grandes non ?
- Ca dépend…
- Elles sont plutôt brunes ou plutôt blondes ? 
- Ca dépend… »

Nos deux brigands ont prévu de faire étape dans une petite ville pour passer la nuit. Nous les retrouvons donc le lendemain matin sur le coup de neuf heures pour un nouveau bout de chemin.

De Castro nous nous dirigeons vers Cucao. Une petite nuit au bord du lac, puis nous gagnions Queilen. Nous restons quelques jours à profiter des rues calme de cette tranquille bourgade. Enfin, nous retrouvons la Panaméricaine pour un petit coup de pouce jusqu’à Queillon. Le 24 janvier 2013, après plus de deux semaines à parcourir les routes de Chiloé, nous embarquons sur l’Alejandria. Un bateau de la Naviera Austral qui assure la liaison entre l’île et les villes situées plus au sud, dans les fjords sauvages de l’Aisén.


Au bord du lago Cucao, aquarelle


*La Pinguinera c'est pour les gringos, on n'est pas des gringos.



Textes Hugo Charpentier - Photos et illustrations Arthur Courtois

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